En 2010 l’Association médicale du Québec a émis un communiqué de presse qui condamnait « l’aveuglement volontaire » du gouvernement du Québec en niant les dangers de l’amiante. Aujourd’hui en 2018 cet « aveuglement volontaire continue ».
Kathleen Ruff*, RightOnCanada.ca
Pendant les vingt années entre 1992 et 2012, le nombre de nouveaux cas de mésothéliome au Québec a doublé, passant de 90 cas en 1992 à 180 en 2012 selon des données obtenues de Statistique Canada en 2015. Le mésothéliome est une maladie mortelle causée par l’exposition à l’amiante. Les données révèlent que presque 3 000 québécois/ses ont été victimes de mésothéliome pendant cette période. Il est reconnu que ces statistiques ne représentent pas la totalité des cas de mésothéliome et n’incluent pas le grand nombre d’autres cancers que cause l’amiante.
Pourtant il semble que le gouvernement du Québec veut faire disparaître ces données. Les statistiques présentées dans le graphique ci-dessous ont été obtenues par l’auteure en 2015 avant que les données pour le Québec après 2010 aient disparues.
Quelle est la situation au Québec aujourd’hui?
On ne le sait pas. Contrairement aux autres provinces, le Québec a cessé depuis 2015 de fournir à Statistique Canada les données sur des nouveaux cas de mésothéliome. Par conséquent, les données pour le Canada fournies par Statistique Canada pour les années depuis 2010 excluent celles du Québec.
Pour le Canada, excluant le Québec, le nombre de nouveaux cas de mésothéliome a augmenté de 20 % entre 2010 et 2015, passant de 390 nouveaux cas en 2010 à 475 nouveaux cas en 2015. Cela représente 2,570 personnes au Canada (sans le Québec) ayant eu un diagnostic de mésothéliome durant ces six années.
L’Institut national de santé publique n’a pas d’informations sur les nouveaux cas de mésothéliome au Québec
L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) est le centre d’expertise pour toute question de santé publique au Québec et surtout pour la question de l’amiante. Comme le constate l’INSPQ dans un rapport publié en 2017, Faisabilité d’accroître la déclaration obligatoire des maladies liées à une exposition à l’amiante par les médecins des hôpitaux:
« En 2002, le gouvernement du Québec adoptait la Politique d’utilisation accrue et sécuritaire de l’amiante chrysotile. Cette politique, encore en vigueur, contient l’obligation pour le ministère de la Santé et des Services sociaux de surveiller les expositions à l’amiante et les maladies qui y sont liées. La réalisation de ce mandat a été confiée à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et le projet ici présenté a été effectué dans ce contexte. »
Mais l’INSPQ confirme qu’il ne possède aucunes données sur les nouveaux cas de mésothéliome au Québec depuis 2010.
Comment l’INSPQ peut-il remplir son mandat de « surveiller les expositions à l’amiante et les maladies qui y sont liées », si le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a cessé de fournir à l’INSPQ et à Statistique Canada les données nécessaires?
En réponse, le MSSS dit que l’amiantose et le mésothéliome sont des maladies à déclaration obligatoire par les médecins du Québec (MADO) et le MSSS fournit ces données. Cette réponse est trompeuse puisque, comme le démonstre clairement le rapport de l’INSPQ, une faible proportion des médecins s’acquitte de cette obligation et les données ne sont donc pas fiables.
« En effet, » dit l’INSPQ, « parmi les 201 patients déclarés pour une amiantose ou un mésothéliome par les trois hôpitaux (l’Hôpital de Thetford Mines, l’Hôpital régional de St-Jérôme et l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont), 138 (68,7 %) n’étaient pas inscrits dans le système MADO-Chimique. » (Faits saillants, page 1)
La mortalité par mésothéliome continue d’augmenter au Québec
Suite à une demande d’accès à des documents soumise à l’INSPQ, l’auteur a pu obtenir des données sur la mortalité du mésothéliome au Québec. Les données démontrent que de 2010 à 2016 le nombre de décès s’est accru de 20 %, passant de 122 en 2010 à 149 en 2016 (données provisoires pour 2016). Ces données, qui ne représentent pas la totalité des décès, démontrent que 960 québécois/ses ont perdu la vie à cause de l’amiante pendant ces six années.
Le gouvernement continue à rejeter les recommandations de l’INSPQ sur la question de l’amiante
L’INSPQ relève de la juridiction du ministre de la Santé et des Services sociaux. Le gouvernement du Québec nomme les membres de son conseil d’administration et un sous-ministre de la Santé y siège. Leur mandat est de fournir des recommandations au ministre de la Santé afin d’améliorer l’état de santé et le bien-être de la population.
Les recommandations de l’INSPQ sur l’amiante n’ont cependant pas plu à l’ancien ministre de la Santé du gouvernement libéral du Québec, le dr Yves Bolduc, qui les a rejetées et a continué à appuyer l’extraction et l’utilisation de l’amiante. Le lobby de l’amiante au Québec a farouchement attaqué les scientifiques de l’INSPQ en les qualifiant de terroristes.
En 2011 une cinquantaine de médecins québécois et une centaine d’experts scientifiques de partout au monde, ont déposé une plainte contre le dr Bolduc et le gouvernement au Collège des médecins du Québec (CMQ) pour ne pas respecter les preuves scientifiques sur l’amiante.
En réponse, le Collège a émis un communiqué qui recommanda que tout intervenant dans le dossier amiante se réfère à l’INSPQ laquelle possède les compétences médicales et le mandat légal de fournir les avis nécessaires.
L’ancien ministre de la Santé, le dr Bolduc, a rejeté la recommandation du CMQ.
L’actuel ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, radiologue et ancien président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, refuse également de tenir compte des recommandations de l’INSPQ concernant l’amiante.
Québec: la pire protection dans le monde occidental contre l’amiante
La norme québécoise permet que les travailleurs soient exposés à 10 fois plus de fibres d’amiante chrysotile (1 fibre/ml) que les travailleurs des autres provinces, que la norme fédérale, celle des États-Unis, en Europe et dans les autres pays de l’Occident (0,1 fibre/ml) et cent fois plus de fibres que permis par les normes des Pays-Bas, de la Suisse et de la France (0,01 fibre/ml). La norme québécoise, dictée par le lobby de l’amiante est scandaleuse et a été condamnée par les experts scientifiques du Québec et du monde entier.
Depuis 2003, comme l’a documenté François Cardinal dans un article intitulé Amiante: le Québec a la norme la plus permissive en Occident publié dans La Presse en 2009, l’INSPQ a fait des appels répétés au gouvernement du Québec pour changer la norme pour une norme plus rigoureuse.
L’Association médicale du Québec, l’Association pour la santé publique du Québec, l’Association des victimes de l’amiante du Québec, la Fédération du Travail du Québec – Construction, la Société du cancer – division du Québec, la Fondation David Suzuki, l’École de santé publique de l’Université de Montréal, des directeurs de santé publique de partout au Québec, ainsi que d’autres organisations, ont eux aussi, en février 2018, imploré les chefs des partis politiques québécois de faire en sorte que la norme soit abaissée.
« Comment se fait-il que nos travailleurs soient 10 fois plus exposés qu’au Canada? C’est inacceptable, » a déclaré le directeur général de la FTQ-Construction, monsieur Yves Ouellet. « Personne ne devrait avoir à s’exposer à une maladie mortelle en allant travailler ».
Question troublante
Est-ce que le gouvernement du Québec a adopté une stratégie pour tenter de faire disparaître les victimes de l’amiante au Québec afin de cacher cette réalité et ainsi continuer à exposer les travailleurs à des niveaux dangereux de l’amiante? La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui a pour mandat de protéger les travailleurs, semble faire partie de cette stratégie.
En août 2017 la CNESST publia un communiqué de presse qui critiquait une journaliste de Radio-Canada pour avoir écrit que le « Québec n’a pas l’intention d’abaisser ses normes d’exposition à l’amiante contrairement au reste du pays ».
« C’est faux, » déclara la CNESST et affirma que :
- La CNESST était en train de tenir une consultation publique sur la pertinence d’abaisser la norme
- La fin de la consultation était prévue le 31 octobre 2017
- Les résultats de la consultation seraient présentés au comité-conseil responsable dans les semaines suivant la fin de cette consultation
- Le comité formulerait par la suite des recommandations quant à la nécessité de procéder au changement ou non des valeurs d’exposition.
En février 2018, la Commission n’avait toujours pas publié sa recommendation et annonca qu’elle prévoyait « publier des recommandations au printemps 2018. »
Le 9 septembre 2018, l’auteur posa la question: « Quant est-ce que la CNESST va prendre sa décision au sujet des normes d’exposition à l’amiante? » La réponse fut: « les discussions se poursuivent cet automne au sein du comité-conseil au regard de la norme régissant la concentration d’amiante (chrysotile) dans l’air. Comme celles-ci se poursuivent, la CNESST avisera en temps et lieu du moment où seront déposées les recommandations. » Une réponse qui semble provenir du roman 1984 de George Orwell.
Donc après plus d’un an, la CNESST continue à ignorer les preuves scientifiques claires et trahit sa mission de protéger la santé des traveilleurs/euses pour jouer un rôle complice des intérêts de l’amiante. Aucune autre commission de la santé et de la sécurité au travail du monde occidental ne professe une telle ignorance quant à la dangerosité de l’amiante chrysotile.
Il faut dire d’ailleurs que la CNESST a une histoire honteuse au sujet de l’amiante, ayant aidé l’exportation de l’amiante québécois dans les pays pauvres où les travailleurs étaient exposés à des conditions inhumaines.
Pourquoi le Québec garde-t-il cette norme indéfendable?
Les travailleurs québécois sont traités comme des citoyens de seconde classe et reçoivent une protection contre l’amiante inférieure aux autres travailleurs au Canada. Pourquoi? Normalement, un gouvernement du Québec ne favoriserait pas que sa population soient traitée comme des citoyens de seconde classe.
C’est peut-être parce que le gouvernement du Québec a fourni à la compagnie Alliance Magnésium Inc. (AMI) un prêt de 17,5 millions $ et une participation en équité de 13,4 millions $ dans un projet pour extraire le magnésium des montagnes de résidus laissés par les mines d’amiante. « Nous sommes ravis de compter le Gouvernement du Québec comme partenaire majeur du projet de commercialisation », a déclaré Dr. Joël Fournier, Président d’AMI. Le financement public de 30,9 millions $ fourni par le gouvernement du Québec représente le tiers de l’ensemble financier global de 104,9 millions de dollars pour le projet. Ainsi, le Québec, sur le modèle de l’achat de l’oléoduc Trans Mountain par le gouvernement fédéral, est devenu copropriétaire de ce projet. Le lobby québécois pro-amiante (le Mouvement PRO chrysotile) , dont le site semble fonctionner en anglais uniquement, et le lobby international pro-amiante basé au Québec (l’Association internationale du chrysotile) sont tous deux ravis Le lobby québécois pro-amiante (le Mouvement PRO chrysotile) , dont le site semble fonctionner en anglais uniquement, et le lobby international pro-amiante basé au Québec (l’Association internationale du chrysotile) sont tous deux ravis et disent « Quant à la mise en garde émanant des 17 directeurs de la santé publique, elle ne constitue pas un rare mouvement, elle est plutôt une action militante de plus s’inscrivant dans la croisade bien orchestrée des militants anti-amiante qui multiplient les moyens de pression partout dans le monde. »
Le gouvernement se trouve dans un grave conflit d’intérêts
Le gouvernement du Québec se trouve dans un grave conflit d’intérêts, ayant l’obligation légale, en tant que copropriétaire du projet de commercialisation des résidus, de placer les intérêts financiers du projet avant toute autre considération. D’autre part, le gouvernement a l’obligation légale de protéger la santé des travailleurs et la santé publique. Mais exiger les normes de sécurité demandées par les experts médicaux du Québec compromettrait la viabilité financière et pratique du projet.
Des analyses récentes révèlent que les résidus contiennent entre 20 et 25 % de fibres d’amiante chrysotile. L’INSPQ dans une publication importante, qui n’a sûrement pas été appréciée par le gouvernement, et les 17 directeurs de santé publique du Québec, entre autres, ont signalé les dangers de ces résidus, particulièrement parce que, en raison de l’influence de l’industrie de l’amiante, la législation environnementale québécoise sur l’amiante est très faible. Le Québec, par exemple, est la seule province au Canada qui affirme dans sa législation environnementale que l’amiante chrysotile n’est pas une matière dangereuse. Ce serait risible si ce n’était pas si tragique.
Au lieu de prendre au sérieux sa responsabilité pour protéger la santé, le ministre de la Santé, le dr Gaétan Barrette, banalise les dangers de l’amiante et presque s’en moque en faisant une comparaison avec manger trop de hamburgers. Il a qualifié comme « extrême » la position du directeur de santé publique de la région de Thetford Mines qui recommandait des mesures de protection plus strictes concernant les résidus d’amiante et qui a, par conséquent, été soumis à des intimidations.
Les 17 directeurs de la santé publique du Québec et l’INSPQ ont présenté des mémoires demandant au gouvernement fédéral d’inclure les déchets de l’amiante du Québec dans sa législation visant à interdire l’utilisation de l’amiante.
Le gouvernement du Québec et le Mouvement PROchrysotile québécois ont fait pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il exclue les déchets. Le gouvernement Trudeau a indiqué qu’il succombera à la pression politique et rejetera les conseils des experts médicaux.
Une trahison de la science, de la démocratie et de la santé publique
Il semble que le gouvernement du Québec traite les intérêts commerciaux comme étant plus importants que la vie humaine. En donnant son support à ce projet, le gouvernement démontre non seulement son manque choquant de transparence, mais aussi son incapacité d’assurer un suivi indépendant pour la protection de la santé.
Il semble que la raison pourquoi le gouvernement Libéral du Québec refuse de changer la norme d’exposition à l’amiante est parce que cela rendrait les projets d’utilisation des résidus d’amiante irréalisables.
Le parti Libéral du Québec n’est pas seul à trahir ainsi la science et la santé de la population. Tout en prétendant défendre les droits des travailleurs/euses, le Parti Québécois démontre une lâche complicité et refuse de donner une réponse à la question de la norme. La Coalition Avenir Québec, au lieu de répondre à la question, parle des « milliards de tonnes de résidus miniers au Québec » qui « peuvent, grâce aux technologies, être revalorisés et sont riches en métaux d’intérêts économiques (fer, chrome, cobalt, etc.), en plus d’être une source de création d’emplois. »
Où est le leadership de des ces trois partis politiques en face d’une substance toxique qui tue plus de travailleurs/euses au Québec que n’importe quel autre danger ? Ils emploient une tactique malhonnête et lâche pour échapper à leurs responsabilités politiques et pour ignorer les conseils que les experts de la santé leur ont fourni.
Seulement le parti Québec Solidaire a fait preuve de courage et d’intégrité et a demandé que le gouvernement respecte les experts de la santé et resserre la norme. Québec Solidaire fut le premier parti politique au Québec à demander le bannissement de l’amiante.
Partout dans le monde où l’industrie de l’amiante a poursuivi ses intérêts, on a vu de la corruption de la science et de la souffrance humaine.
Il semble que cette tradition continue au Québec où on voit en ce moment une trahison politique de la science, de la démocratie et de la santé.
* Kathleen Ruff a reçu une médaille de l’Assemblée nationale du Québec le 9 juin 2016 avec le soutien unanime de tous les partis politiques pour la motion suivante :
« Que l’Assemblée nationale rende hommage à madame Kathleen Ruff et la remercie pour sa persévérance dans la lutte pour cesser l’exploitation de l’amiante au Québec et au Canada et pour interdire son utilisation;
Que l’Assemblée nationale reconnaisse la contribution essentielle du travail de Mme Ruff à la santé des travailleuses et travailleurs ainsi que celle des citoyens et citoyennes du Québec. »
Tue, Sep 25, 2018
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